CHAPITRE II
Les boucliers bâbord du Mon Mothma s’effondrèrent et du plasma pénétra dans la coque à la manière d’un poing qui s’enfonce dans du flimsiplast. La matière se transforma en ions. Des gouttelettes de métal fondu traversèrent quatre ponts bien plus vite que le bruit ou les vibrations provoqués par l’impact, déchirant les fragiles formes de vie qui s’y trouvaient avant que leur système nerveux ne puisse enregistrer un quelconque problème. Une onde de choc suivit, provoquée par l’air surchauffé soumis à une expansion si violente que les protections antidéflagrantes se plièrent. Le front de l’onde balaya les ponts d’une extrémité à l’autre sans rien épargner. Deux cents êtres pensants disparurent en un clin d’œil, cent de plus tombèrent dans les zones adjacentes – transpercés, brûlés ou les deux à la fois.
Puis, comme si un géant reprenait son souffle, l’espace aspira tout à travers le trou, ne laissant que le vide et le silence.
Dans le poste de pilotage du destroyer stellaire, les alarmes hurlèrent et de jeunes officiers paniqués tentèrent d’appliquer les procédures d’urgence. La gravité artificielle disparut.
Quelqu’un cria.
Wedge Antilles ferma les yeux et se cala plus solidement dans son siège.
Je suis tellement las de tout ça, pensa-t-il.
Il rouvrit les yeux pour voir un barrage de tirs de plasma qui le visait de face. Un escadron de coraux skippers s’était attaqué directement à la passerelle. Trois furent éliminés par le feu des turbolasers. Les autres virèrent au dernier moment pour éviter de frapper les boucliers toujours activés.
Cela ne fit même pas ciller le général. Les skips n’étaient pas son souci principal.
C’était plutôt l’équivalent de cuirassé vong qui venait de jaillir de nulle part pour trouer sa coque…
— Vingt degrés à tribord et douze au-dessus de l’horizon, ordonna Wedge. Tout de suite. Commencez à tirer.
Il se tourna vers son officier tactique :
— Qui d’autre a rejoint la fête ?
— Quatre frégates, monsieur, répondit l’officier. Des coraux skippers – nous ne sommes pas encore sûrs du nombre. Et bien entendu, le cuirassé. On dirait, monsieur, que les renforts vong sont arrivés.
— En effet… Attendons encore un peu pour voir s’il y en a plus. Demandez au Mémoire d’Ithor de garder notre flanc ouvert. Il va falloir relever le gant.
Wedge se tendit à cette idée. Dans son âme, il restait un pilote de chasseur, avec les réflexes correspondants. Les gros navires avaient une grosse puissance de feu, mais ils étaient si lents à manœuvrer. Il se serait senti tellement mieux dans une aile X…
Et encore mieux sans le poids de l’équipage mort sur les épaules. La perte d’un ailier faisait très mal. Alors, deux cents personnes…
Mais Antilles ne tenait pas les commandes d’une aile X. En quittant sa retraite et en acceptant le grade de général, il savait à quoi il s’exposait.
Quel autre choix s’offrait à lui, sinon regarder approcher le monstrueux navire ovoïde pendant que les turbolasers du Mothma canardaient le corail yorik qui éclatait en fontaines de plasma ? La plupart des tirs, partant en ligne droite, étaient déviés et avalés par les minuscules singularités du vaisseau vong. Mais un rayon sur trois touchait sa cible pour dessiner un maillage rouge sur la coque vivante.
— Monsieur, le Mémoire ne peut pas nous venir en aide. Il est engagé dans un combat contre une frégate, et il en prend plein la vue.
— Trouvez quelqu’un d’autre pour protéger notre flanc. Nous ne résisterions pas à un nouveau coup au but.
— Monsieur, l’escadron de Duro sollicite l’honneur de nous couvrir.
Wedge hésita. Parier sur l’escadron de Duro était osé, car il s’agissait d’un étrange groupe de pilotes. Certains avaient une expérience militaire, d’autres non, mais tous s’étaient jurés de libérer leur système natal.
Le combat se déroulant précisément dans ce système, des difficultés pouvaient se présenter.
Une fois de plus, Wedge semblait ne pas avoir d’autre option.
— Répondez-leur que nous acceptons. Mais ne les remerciez pas…
— Trois vaisseaux supplémentaires viennent d’arriver, annonça le lieutenant Cel sur un ton qui laissait redouter un début de panique.
— Il n’y en aura pas d’autres. Espérons-le, en tout cas. Etablissez le contact avec le général Bel Iblis.
Un instant plus tard, un hologramme du commandant vieillissant apparut.
— Les renforts sont là, annonça Wedge. Les postes de renseignements les ont vus passer par le cordon commercial corellien. Donc, il s’agit sûrement de ceux que nous attendions.
— Sont-ils trop nombreux pour que vous vous en sortiez, général ? demanda Bel Iblis.
— J’espère que non. Nos forces sont-elles prêtes ?
— Nous sommes en route. Bonne chance, général.
— A vous de même.
L’image s’évanouit. Le front plissé, Wedge consulta les rapports tactiques.
Ils avaient déjà derrière eux une journée de combat. La première ligne de défense du système de Duro avait été franchie en quelques heures. Le cercle intérieur avait été plus difficile à maîtriser, mais l’opération de nettoyage se présentait assez bien jusqu’à ce que les renforts vong s’en mêlent.
Wedge avait prévu leur arrivée. Il avait même compté dessus. Mais des frappes dévastatrices étaient intervenues très vite. Une évaluation de la situation donnait un léger avantage aux Vong – ce qui n’était pas une surprise non plus.
Tout correspondait aux prévisions, car ils n’étaient pas venus là pour vaincre, même s’il était encore trop tôt pour repartir.
— Préparez l’interdiction, dit Antilles.
Quatre frégates vong bondirent dans le système de Duro, modifiant de nouveau l’équilibre des forces.
— Monsieur ?
— Lancez l’interdiction !
Les générateurs de puits gravifiques du grand vaisseau se mirent en action, ainsi que ceux du Mémoire d’Ithor et de l’Olovin.
Par leurs positions autour des forces ennemies, ils empêchaient les Yuuzhan Vong de quitter le système – en tout cas jusqu’à ce que le périmètre d’interdiction soit réduit en poussière.
Evidemment, les bâtiments de l’Alliance Galactique ne pouvaient s’échapper non plus.
— Stoppez l’attaque et adoptez une formation obstructive, dit Wedge d’une voix calme. Aucun de ces navires ne doit atteindre l’hyperespace.
— Et Duro ? demanda Cel.
— Ce n’est plus notre problème, lieutenant.
— D’accord, monsieur, fit Cel, étonnée.
Très bien. Si ses propres troupes étaient perturbées, les Vong devaient l’être encore plus.
Les vaisseaux de l’Alliance arrêtèrent leur avancée vers Duro et se retirèrent en décrivant un grand arc de cercle. La flotte vong retrouvait un atout – avoir la planète derrière elle – dont l’attaque d’Antilles l’avait privée. Du même coup, elle était également piégée dans le système.
— Maintenez la position, confirma Wedge. Nous restons là.
Cet étalement des forces conférait un net avantage aux Yuuzhan Vong. Pourtant, ils semblaient hésiter, soupçonnant sans doute un des pièges dont ils avaient souffert tant de fois, récemment.
Mais la prudence n’était pas une caractéristique vong. De plus, leur nombre les plaçait dans une meilleure position. Plusieurs destroyers commencèrent à attaquer le « mur » que l’Alliance Galactique avait construit.
— Ont-ils également des interdicteurs ? demanda Wedge.
— Non, monsieur.
— Bien.
— Monsieur, le commandant Yurf Col voudrait vous parler.
— Acceptez la communication, soupira Wedge.
Le visage plat du commandant ne trahissait aucune émotion – selon les critères humains –, mais Antilles connaissait assez les Duros pour identifier une colère froide…
— Commandant, salua-t-il.
— Par toutes les routes spatiales, général Antilles, qu’êtes-vous en train de faire ? cracha Yurf Col. J’ai perdu de bons pilotes, et maintenant, vous abandonnez notre cible !
— Je suis sûr que vous jugez la situation aussi clairement que moi, commandant. Ces renforts nous empêchent de continuer nos attaques.
— Alors, pourquoi cette manœuvre d’interdiction ? Ça n’a aucun sens. Par hasard, je sais que nous avons encore le double de vaisseaux en réserve. Appelez-les, et finissons-en !
Restons calme, pensa Wedge.
— En revanche, vous ne savez sans doute pas que les Yuuzhan Vong ont les moyens de capter nos communications. Et que vous venez peut-être de livrer un renseignement important à l’ennemi…
— Si nous le détruisons, ça ne lui servira à rien. Les Vong n’ont pas encore d’avantage déterminant. Nous pouvons gagner en attaquant au lieu de… faire ce que vous faites. Avec quelques renforts, nous aurons le dessus.
— Commandant, il s’agit de votre système natal. Pour vous, cette bataille a une importance personnelle. C’est en partie pour ça que je dirige cette opération, et pas vous. Vous avez été d’accord pour combattre sous mes ordres, et vous continuerez. Avez-vous compris ?
— J’ai surtout compris que vous vous y êtes mal pris depuis le début. Nous aurions pu vaincre dès les premières heures, si vous aviez écouté mes conseils.
— A votre avis, pas au mien. Et c’est le mien qui compte, en l’occurrence.
— Quand tout ça sera fini, Antilles…, fit le Duro, menaçant.
— Je suggère que vous vous préoccupiez du présent, commandant. Les Vong tentent une percée pour ouvrir un deuxième front. S’ils réussissent, nos options seront considérablement réduites.
— C’est vous qui les limitez. Deux frégates supplémentaires…
Wedge coupa la parole au Duro.
— Habituez-vous à l’idée – et vite – qu’il n’y a pas de renforts. Et je ne suis pas encore prêt à abandonner ce système. Jouez votre rôle, commandant, et tout ira bien.
— Je vous préviens, général Antilles, si vous ne m’expliquez pas de quoi il retourne, je vous y contraindrai !
— Vous suivrez les ordres, point stop !
— Général…
Wedge coupa la communication et se concentra de nouveau sur les rapports. Les attaquants simulaient un regroupement à un endroit donné, alors qu’ils frappaient ailleurs. Mais où ?
Les ordinateurs tactiques cherchèrent la réponse. Sauf si les Yuuzhan Vong sortaient un as de leur manche, Wedge estimait pouvoir les retenir pendant cinq ou six heures sans subir de pertes significatives.
Ça devrait suffire…
Il étudia une carte du système, réalisée selon les indications des capteurs. Les Vong l’occupant depuis plus de deux années standard, les informations devaient être dépassées. Et dans le contexte actuel, il n’avait aucun besoin d’une surprise désagréable.
La surprise vint quand même – pas d’un piège élaboré des Vong, mais de ses propres rangs.
— Monsieur, annonça l’officier de contrôle, Dpso, Cœur-Rouge et Coriolis quittent la formation. Tout l’escadron duro les suit !
— Ils sont cinglés…, soupira Wedge. Repassez-moi Yurf Col, tout de suite !
L’ordre fut aussitôt exécuté.
— Commandant, commença Wedge, se forçant à paraître détendu, nos capteurs doivent dérailler. Vous semblez vous placer en formation d’attaque alors que les ordres disaient clairement de tenir la position.
— Je ne suis plus sous vos ordres, général Antilles, lâcha Col. Mes gars ne vont pas rester à ne rien faire dans leur système natal. En tout cas, pas sans explication valable, et vous avez refusé de m’en fournir une. Si vous ne vous engagez pas dans la reconquête de Duro, je serai obligé d’y aller moi-même.
— Votre démarche est suicidaire. En plus, vous risquez de saboter notre mission.
— Pas si vous vous joignez à moi.
— Ce que je ne ferai pas.
— Alors, nos morts pèseront sur votre conscience.
— Je ne bluffe pas, commandant Col.
— Vous l’aurez voulu, Antilles !
— Commandant…
— Vous m’avez coupé tout à l’heure. Je vous rends la pareille. Soyez avec nous ou contre nous !
La liaison interrompue, Wedge regarda les vaisseaux des Duros quitter le périmètre, puis foncer vers les navires ennemis.
— Monsieur, annonça Cel, les Duros encaissent un feu nourri.
— Je vois ça, fit Wedge.
— Monsieur, qu’essaient-ils de faire ?
— Me forcer à attaquer.
— C’est du bluff ?
La bataille faisait désormais rage entre les Duros et l’avant-garde des Yuuzhan Vong.
— Non, corrigea le général, ce n’est pas du bluff. (Il passa sur la fréquence tactique.) A toute la flotte : que personne d’autre ne sorte de la formation. Personne !
— Monsieur, ils vont se faire massacrer…
— Oui, grogna Wedge, c’est inévitable.
Les heures qui suivirent, les vaisseaux duros disparurent les uns après les autres dans des explosions de plasma. Trois heures après la destruction du dernier, un message arriva. Wedge ordonna de cesser l’interdiction, et les bâtiments de l’Alliance Galactique sautèrent dans l’hyperespace, abandonnant de nouveau Duro aux Yuuzhan Vong.